Transition écologique: quels impacts pour nos compétences ?

Avant-propos

Quelle est la couverture médiatique de la transition écologique sur sa dimension “impacts sur nos métiers et nos compétences” ? Si l’on compare à l’ampleur des articles et études sur l’Intelligence Artificielle nous sommes dans un rapport de 1 à 7 (voir figure).

Selon vous, pourquoi une telle différence ?

Cela tient tout d’abord à la dimension très concrète rendue possible par ChatGPT. Loutil d’IA générative le plus réputé se caractérise (soit dit en passant) par une empreinte carbone catastrophique: 1 journée d’usage équivaut à 12 ans de chauffage électrique pour une maison individuelle.

Le second aspect réside dans les gains de productivité escomptés. Ce phénomène quasi sociétal est vécu comme une aubaine pour les entreprises. En effet, la stagnation de la croissance depuis 2021 (0,6%) remet en question notre modèle. Le chemin de la décroissance tant redouté pour certains, inéluctable pour d’autres, est inéluctable selon Jean-Marc Jancovici: “La décroissance ne fait pas plaisir mais elle est inexorable !”

A l’inverse de l’IA, les transitions vers la sobriété pour les entreprises riment avec contrainte et ne progressent que par avancées législatives.

En tant que spécialistes du recrutements de profils pour la décarbonation de l’économie nous allons, par conséquent, nous plonger dans le 2nd phénomène. Ainsi, examinons ce que les différentes transitions durables apporteront comme conséquences sur les métiers et les compétences.

évolution requêtes transition écologique et intelligence artificielle

Les facteurs écologiques affectant les métiers et les compétences

1. Le développement des énergies renouvelables

Estimation de l’intensité de création de postes: croissance importante.

La transition vers des sources d’énergie plus propres et renouvelables (solaire, éolien, hydraulique, etc.) nécessite des compétences techniques spécifiques pour l’installation, la maintenance et l’optimisation de ces technologies.

Exemples: Technicien en énergie solaire, Ingénieur en énergie éolienne, Monteur de panneaux photovoltaïques, Technicien de maintenance pour éoliennes.

2. L’efficacité énergétique et réduction de la consommation

Niveau de création de postes dans ce domaine: de modéré à intense.

Les efforts pour rendre les bâtiments et les processus industriels plus économes en énergie impliquent une demande accrue pour des compétences en audit énergétique, en conception durable, et en mise en œuvre de technologies d’efficacité énergétique.

Exemples: Auditeur énergétique, Spécialiste en isolation des bâtiments, Consultant en efficacité énergétique, Ingénieur en thermique du bâtiment.

3. L’économie circulaire

Intensité créatrice: modérée.

Le passage d’une économie linéaire à une économie circulaire, où les matériaux sont réutilisés et recyclés, crée un besoin pour des compétences en gestion des déchets, en recyclage, et en conception de produits durables.

Exemples: Gestionnaire de cycle de vie des produits, Ingénieur en matériaux durables, Responsable de la logistique inverse, Expert en économie circulaire.

4. L’agriculture et l’alimentation durables

Opportunités de nouveaux emplois: modéré à faible.

La transition vers une agriculture plus respectueuse de l’environnement et des systèmes alimentaires durables demande des compétences en agroécologie, en permaculture, et en gestion durable des ressources naturelles.

Exemples: Agriculteur en permaculture, Conseiller en agriculture durable, Nutritionniste spécialisé en alimentation durable, Technicien en agroécologie.

5. La mobilité durable

Gains d’effectifs dans ce domaine: croissance modérée à forte.

Le développement de la mobilité verte, incluant les véhicules électriques et les alternatives au transport individuel, nécessite des compétences en ingénierie des transports, en planification urbaine, et en gestion de la mobilité.

Exemple: Planificateur urbain spécialisé en mobilité durable, Ingénieur en systèmes de transport électrique, Spécialiste en logistique verte, Consultant en mobilité partagée.

6. La protection et la restauration des écosystèmes

Création d’emplois: modérée.

Les efforts pour protéger et restaurer les écosystèmes (forêts, océans, biodiversité) impliquent des compétences en écologie, en biologie de la conservation, et en gestion environnementale.

Exemple: Restaurateur d’habitats naturels, Biologiste de la conservation, Garde forestier spécialisé dans la gestion durable, Expert en gestion de l’eau.

7. La gouvernance et la finance vertes

Nouveaux rôles dans ce domaine: modéré.

La transition écologique nécessite également des compétences en finance durable, en comptabilité environnementale, et en gestion de projets verts pour soutenir les investissements dans les technologies et pratiques durables.

Exemples: Analyste en investissements durables, Conseiller en responsabilité sociale des entreprises (RSE), Expert en certification environnementale, Gestionnaire de fonds verts.

Les perspectives d’emplois pour les métiers “verts”: entre recrutements et redéploiements

Les estimations de recrutements d’emplois verts:

  • Au niveau international

Le Bureau International du travail estime que la transition écologique pourrait engendrer la création de 24 millions de nouveaux emplois à travers le monde d’ici 2030. Cette estimation vient contrebalancer les pertes de 6 millions d’emplois subis par ailleurs (déclin des industries à forte intensité de carbone, automatisation et efficacité accrue, transformation de l’agriculture, restructuration économique).

  • Au niveau européen

L’INSEE parle de 800 000 travailleurs qualifiés pour réaliser la transition écologique et plus d’un million si l’on y adjoint les énergies alternatives.

  • À l’échelle française

A l’échelle française, les membres de la Plateforme emplois-climat proposent un plan ambitieux de création d’un million d’emplois en France. Cette modélisation ne repose pas sur un travail empirique de déclarations des entreprises. Elle constitue avant tout un appel à un redéploiement des investissements et des politiques en faveur de formation professionnelle adaptée aux enjeux de cette mutation économique.

Distinction entre emplois “bruns”, “verts” et “verdissants”

  • Les emplois “bruns”: ce sont les effectifs de secteurs à l’intensité polluante la plus forte: cokéfaction et raffinage, transport aérien et par eau, industries de la métallurgie, des minéraux non métalliques et de la chimie et énergie. Ils représentent 3% de l’emploi en France.
  • Les emplois verts: ils regroupent les effectifs des secteurs dont 100% de l’activité est dédiée à l’amélioration de notre lieu de vie (entretien, assainissement, distribution d’énergie et d’eau, traitement des déchets). Ils représentent 0,5% des emplois en France.
  • Les emplois verdissants: Ce sont les emplois dont les compétences évoluent pour s’adapter aux enjeux environnementaux ( bâtiment, transports ou la conception/maintenance industrielle).

Source: SDES 2021.

Cette distinction est nécessaire pour comprendre les réallocations qui auront lieu des emplois dits “bruns” vers les métiers “verts” et “verdissants”. Il est encore difficile d’estimer ces redéploiements à l’échelle internationale. Le FMI minimisait sans doute ceux-ci lorsqu’en 2022 il parlait, dans son étude, de 1% à l’horizon 2030.

 

Les nécessaires adaptations des métiers existants

Une réallocation des emplois à dessiner

Avancer vers des activités plus responsables conduira à transférer des ressources d’activités fortement carbonés vers des activités décarbonées. Ce mouvement sera complexe lorsqu’il est question du secteur aérien, il sera plus évident pour d’autres. En l’espèce, l’énergie dispose de certaines compétences dans les secteurs pétroliers et gaziers qui peuvent basculer vers des métiers dans le renouvelable ou dans les mobilités décarbonées.

Comment envisager les métiers des secteurs de l’agriculture, de la pêche, de la foresterie ou encore du tourisme  ?

A l’échelle mondiale, ce sont 2,2 milliards de travailleurs dont il s’agit de faire évoluer l’activité. Préserver ces métiers signifie se concentrer sur la préservation et l’amélioration des services écosystémiques. Nous pensons ici à la purification de l’air et de l’eau, le renouvellement et la fertilisation des sols, le contrôle des parasites, la pollinisation et, enfin, la protection contre les conditions climatiques extrêmes.

Selon Benoît Serre dans un entretien dans le Harvard Business Review, Vice-Président de l’ANDRH, il faudra “adapter” les compétences de neuf millions de personnes d’ici 2035. De quelles compétences parlons nous au juste ?

 

La diffusion de méta-compétences durables

Il est ici question d’envisager les groupes de compétences qui, de manière transversale, doivent faire partie du patrimoine d’aptitudes à diffuser dans les organisations.

1: Adopter une approche systémique, interdisciplinaire et éthique

Explications: Cette disposition d’esprit implique la capacité à comprendre comment les différents éléments d’un système (par exemple, économique, social, environnemental) interagissent entre eux, en prenant en compte les implications éthiques des décisions. Il s’agit de voir au-delà des silos disciplinaires pour adopter une vision globale et intégrée.

Exemple: Dans le cadre d’un projet de développement urbain durable, cela signifie travailler en collaboration avec des urbanistes, des écologistes, des sociologues et des économistes pour créer des espaces qui favorisent la biodiversité, l’inclusion sociale et la prospérité économique, tout en réduisant l’empreinte écologique.

2. Développer un esprit critique pour engager une démarche prospective

Explications: Il s’agit de la capacité à questionner, analyser et évaluer les informations et les tendances actuelles pour anticiper les défis futurs et identifier des solutions innovantes. Cela comprend la remise en question des hypothèses existantes et la recherche de nouvelles voies pour le développement durable.

Exemple: Dans le cadre de la réduction de l’empreinte carbone d’une entreprise, plutôt que de mettre en œuvre directement des solutions à grande échelle, l’entreprise pourrait initier de petits projets pilotes pour tester l’efficacité de différentes approches de mobilité durable. Tester un petit projet de covoiturage avant de l’étendre, permettant d’évaluer son impact sur la réduction des émissions de CO2 et d’ajuster l’approche en fonction des résultats.

3. Concevoir la transformation des organisations

Explications: Cet ensemble englobe la capacité à initier et à gérer le changement au sein des organisations pour qu’elles deviennent plus durables. Cela implique de redéfinir les stratégies, les processus et les cultures organisationnelles en intégrant des principes de développement durable.

Exemple: Mettre en œuvre un programme de responsabilité sociale d’entreprise (RSE) qui intègre des critères environnementaux et sociaux dans les décisions d’achat.  Prioriser les ces critères de durabilité lors de la sélection d’un nouveau fournisseur dans un appel d’offres, pour encourager des chaînes d’approvisionnement responsables.

4. Agir individuellement et collectivement de manière responsable

Explications: Cette méta-compétence souligne l’importance de la responsabilité individuelle et collective dans la promotion du développement durable. Elle encourage à adopter des comportements éthiques et à contribuer positivement à la société et à l’environnement à travers ses actions quotidiennes et professionnelles.

Exemple: Mettre en place un système de partage de connaissances sur le développement durable au sein de l’entreprise comme la fresque du climat. Atelier durant lequel les employés s’engagent dans la mise en œuvre d’initiatives. Ce peut notamment être des projets de compensation carbone ou des partenariats avec des organisations locales pour la reforestation.

 

Conclusion

A court terme, la transition est susceptible d’intensifier les difficultés de recrutement dans certains métiers déjà sous tension (ouvriers de l’industrie du bois; techniciens, cadres et agents de maîtrise dans le secteur du bâtiment et des travaux publics).

La transition écologique pose avant tout la question de la redistribution des emplois entre les différents secteurs, elle souligne les défis représentés par les écarts de compétences demandées et disponibles pour certaines professions.

Enfin, la concentration des activités sur certaines zones géographiques réaffirme le besoin de mobilité professionnelle et géographique. Face à ces défis, il est crucial que les politiques publiques évoluent pour anticiper ces changements et soutenir les travailleurs. Cela permettra d’assurer que la transition vers un environnement plus durable s’accompagne d’une augmentation des opportunités d’emplois de qualité.